ANACHORÈTE
Sur sa boîte aux lettres, il avait écrit : « PAS DE COURRIER, SVP ! »

BEAUTÉ
Rien n’est plus désagréable pour la beauté que d’être contemplée avec une vraie adoration, comme si elle était l’image même de la perfection. La beauté sait trop bien qu’elle n’est pas parfaite, puisqu’elle n’est pas éternelle.
Ou seulement dans le regard et le cœur de ses adorateurs, d’ailleurs tout aussi mortels qu’elle.
D’être adorée, ça lui fait une belle jambe, à la beauté ! Elle ne s’en fanera que mieux.

BRONZAGE
Il y a donc en France huit millions de bronzés artificiels. La connerie se porte bien, le mélanome aussi. Faut-il être mal dans sa peau pour avoir envie de bronzer idiot !

CAMPING-CAR
C’est une histoire vraie. Elle se passe au Maroc, il y a deux mois, dans un camping. Une handicapée, malgré son déambulateur, perd l’équilibre et tombe à terre en heurtant au passage la paroi du camping-car qu’elle longeait.
Le gars du camping-car, un français entre deux âges, sort aussi sec, vérifie que son camping-car n’a rien et rentre dans sa coquille sans regarder et encore moins aider la malheureuse étalée par terre, que relève tant bien que mal l’amie qui voyage avec elle…
Le cynisme inconscient du beauf n’en finit pas de m’épater. Pour moi, c’est ça, la droite décomplexée. Ce qui ne veut pas dire que le type en question vote forcément Sarkozy. Des décomplexés allant au bout de la logique libérale, on en trouve quantité à gauche, à commencer par Manuel Valls…

CARTON-PÂTE
Frédéric Mitterand ministre : la restauration monarchique est en bonne voie. L’aboyeur des royautés déchues et des fastes princiers, le lécheur de culs royaux dégénérés, le chroniqueur des royaumes de carton-pâte au ministère de la Culture ? Laissez-moi vomir !

CATASTROPHE
Ce n’est pas par sado-masochisme que j’appelle de mes vœux la catastrophe. Nous l’avons de toute façon rendue inévitable ; plus elle tarde à venir, plus grave elle sera, et plus lourdes ses conséquences. Chaque minute qui passe alourdit la note que nous aurons à payer. Plus tôt elle nous sera présentée, plus nous aurons de chances de parvenir à la régler sans y laisser, non seulement notre chemise, mais notre vie.
Si donc je joue plus que jamais les Cassandre, c’est qu’il me reste encore de l’espoir.
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CHANCE
Ce n’est pas parce que je râle très souvent que je n’ai pas conscience d’avoir beaucoup de chance. La vie, je n’en jouis pas tout le temps, mais je peux en jouir. Ils sont des milliards à ne pas pouvoir en dire autant. Pouvoir vivre sa vie, si dure soit-elle, ça me semble déjà une chance inouïe.
Et pour ceux qui ne l’ont même pas, cette chance, la meilleure des raisons de se révolter contre qui les en prive. Fût-ce eux-mêmes…

COMMERCE
Dans les périodes comme la nôtre où le commerce devient l’organisation systématique de la prostitution généralisée, et où tout se vend, surtout ce qui ne devrait pas se vendre, l’exhibition fait bon ménage avec la pudeur : c’est que les deux ne sont plus que des astuces de marketing, des truc de putains bien entraînées.
Voir CONTRADICTION

CONTRADICTION
C’est au moment où les décolletés n’ont jamais été aussi vertigineux que la télévision nous explique « qu’après les débordements impudiques de la fin du siècle dernier les femmes redécouvrent la pudeur et ne veulent plus montrer leurs seins sur les plages. »
Il y a peut-être une cohérence derrière cet apparent paradoxe : on peut tricher avec un décolleté, et beaucoup de nos compagnes ne s’en privent pas, mais les seins nus se montrent tels qu’ils sont, au naturel – ou pas…
Voir COMMERCE

D’ART D’ART
Le principe même de cette émission de vulgarisation qui remplit parfaitement son rôle (rendre l’art, ou ce qui en tient lieu, parfaitement vulgaire, en imposant en une minute au téléspectateur l’idée que ce qui lui est présenté sous ce label certifiant est forcément une œuvre d’art « authentique » et en lui faisant entrer dans le crâne, toujours en une minute, ce qu’il doit « savoir » pour la « comprendre » et ce qu’il lui faut en « penser » pour être digne de son époque) est la négation même de toute culture digne de ce nom.
Après le bac sans peine, l’anglais sans effort, la politique pour les nuls et la purée Mousline, l’art minute. Comme dit l’autre, nous vivons une époque moderne…

DÉCADENCE
Qu’une langue évolue, rien de plus naturel. Mais quand les prétendues élites qui l’ont largement confisquée se mettent à la massacrer jusque dans ses principes les plus essentiels, on tient l’un des signes les plus sûrs de la décadence d’une civilisation. On peut pardonner à Bernard Guetta les trop nombreux cuirs dont il parsème ses laborieuses chroniques, pas ses constructions à l’emporte-pièce du style « Car la Lybie est une grande nation et que son président en assume le gouvernement ». Dio cane !
La ridicule redondance « où là », qui émaille avec tant de grâce les discours faussement policés de tant de journalistes, d’experts et d’hommes politiques, est déjà difficilement supportable, mais entendre de plus en plus souvent, et jusque dans la bouche de Monsieur de Villepin, poète, diplomate et premier ministre, des accords aussi dissonants que « l’élection auquel » ou « la famille auquel », c’est à hurler.
Que peut bien valoir la pensée d’un homme qui ne sait plus même pratiquer les accords les plus élémentaires ?
Pardon, j’aurais dû dire, comme cet agrégé d’histoire chargé de cours à la Sorbonne lors d’une conférence émaillée de cuirs crépitant comme des pétards à mes oreilles passéistes : « Qu’est-ce que peut-elle bien valoir, la pensée… »

DÉTAILS
86% de reçus au bac cette année. C’est trop, ou trop peu. Donnez-le carrément, ou redonnez-lui un minimum de sérieux. La démagogie galopante prend décidément un tour assez terrifiant.
Dans le même désordre d’idées, il aura suffi que des organisations juives décident qu’un jugement ne venge pas suffisamment la victime d’un crime particulièrement odieux pour qu’une ministre irresponsable, droite dans ses godillots, ordonne au parquet de faire appel.
Isolés, tous ces petits « détails » peuvent nous paraître bénins. Réunis, ils signent notre entrée dans l’ère de la lâcheté généralisée, et le triomphe de ce que je persiste à nommer le libéral-nazisme.

DÉTESTATION
Ils l’adorent tous, comme ils adorent Holiday ou Jackson, par besoin d’avoir une icône à adorer, une vierge à bader. Je déteste Federer, cet ours bien léché, avec son tennis prudent et brillantiné, son « élégance » vulgaire de marque de luxe pour nouveaux riches, et ce côté lisse et bien propre du champion aseptisé qui cache mal un ego hypertrophié à l’insondable arrogance.

ÉDITUEURS
Il semble qu’il y ait entre les éditeurs et moi un malentendu originel – et probablement définitif. Je le regrette vraiment. C’est sûrement de ma faute.
Et peut-être aussi de la leur. D’abord, les éditeurs actuels ne savent pas lire. Ne peuvent pas lire. Débordés, et avides de l’être, les éditeurs ne lisent plus. Ils scannent. Souffler n’est pas jouer, scanner n’est pas lire.
Lire à travers nos œillères subjectives, nous le faisons tous. C’est plutôt sain, selon moi. Mais à leur filtre personnel la plupart des éditeurs en rajoutent un autre beaucoup plus sélectif, et selon des critères beaucoup plus discutables. Lire à travers les œillères du marketing, c’est se mépriser soi-même en même temps que les auteurs. Ne lire qu’en fonction des livres qu’on sait vouloir faire, c’est regarder dehors à travers des volets clos.
Face à ce filtre impitoyable, la qualité littéraire n’est absolument plus un critère éditorial, tout au plus une cerise sur le gâteau – quand elle n’est pas considérée comme un handicap !
Les éditeurs, si dépendants de leurs diffuseurs, jouissent en revanche depuis quelques dizaines d’années d’un rapport de forces favorable face aux innombrables auteurs qui voudraient à tort ou à raison être publiés. Non seulement l’offre est bien supérieure à la demande, mais plus la demande diminue, plus l’offre se fait pléthorique. Ce paradoxe infernal, les éditeurs l’entretiennent et l’ont partiellement créé en tentant de sauver le marché de la lecture par l’inondation, espérant qu’à défaut de qualité la quantité allait enrayer la chute des ventes.
Mais les auteurs putatifs se multipliant à la vitesse des drosophiles, les éditeurs se retrouvent submergés par les tapuscrits. N’ayant que l’embarras du choix, et confronté à un océan de médiocrité, l’éditeur se veut désormais créateur ; plus inculte que jamais, il est pourtant d’autant plus fondé à traiter d’égal à égal avec les auteurs que nombre de ceux-ci peuvent désormais rivaliser avec lui en matière d’analphabétisme.
L’édition participe donc pleinement à l’universelle fuite en avant mondialisée, et procède depuis quelques années à un extraordinaire autodafé, publiant à tour de bras des monceaux de livres dont la majorité disparaissent avant même d’avoir été réellement proposés à d’éventuels lecteurs – épargnant à ceux-ci bien des déceptions.
Pas de doute : les éditueurs ont bien mérité de notre boulimique et anorexique société de consommation ; ayant programmé la mort du livre, ils se roulent avec nous tous dans les délices du suicide collectif.

ESPOIR
Il y a de l’espoir : je peux encore être déçu.

FLATTERIE
« Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » dit La Fontaine. Oubliant d’ajouter que le flatté vit aux dépens de celui qui le flatte. Rude travail, la flatterie, coûteux en temps et en énergie. C’est de ce temps et de cette énergie que l’heureux flatté rayonne, nourri sur la bête. Il est normal que celle-ci reçoive son dû, et humain qu’elle cherche à prendre plus qu’elle ne mérite…

FRANCE-INTER
Je n’aime pas Philippe Val. Sa morgue d’affranchi servile, sa paranoïa de nouveau riche de la culture et sa vindicative intolérance me le rendaient parfaitement antipathique avant même que l’ambition boulimique qui fait le fond de cet assez répugnant personnage ne l’amène à se vendre pour un plat de lentilles cornéennes.
Mais j’avoue que je serais très reconnaissant à ce hiérarque de fraîche date s’il nous épargnait enfin cette purge sabbatique et dominicale qu’est le radotage sénile du kiosquier de service. Entendre tous les week-ends l’insupportable Ivan Levaï étaler sadiquement à tout propos et hors de propos sur l’infecte tartine de son discours l’indigeste confiture de ses souvenirs de récitation, dignes d’un bon élève fayoteur du lycée Janson de Sailly, il y a de quoi vous mettre en rogne pour la semaine !

GÉNIE
Si la marque du génie est de parvenir à faire du « quasiment tout » avec du « presque rien », John Fante est un très grand écrivain.

GRATUITÉ
Contrairement à ce que croient les imbéciles, dans la vraie vie, celle avec laquelle nous essayons toujours de tricher, la gratuité, ça se mérite. C’est une loi physique : la gratuité se paye parce qu’elle coûte cher. Pour recevoir sans avoir à payer, il faut avoir déjà payé d’une façon ou d’une autre : la gratuité est un retour sur investissement que nous accorde la vie parce que nous avons commencé par beaucoup donner de nous-mêmes.

GRENOUILLE
J’ai depuis toujours tenté de mettre en pratique cette superbe phrase attribuée à Guillaume d’Orange, stathouder de Hollande avant de devenir roi d’Angleterre : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. »
Et cette autre de Shelley, dans son Prométhée délivré :
« To hope till hope creates
From its own wreck the thing it contemplates. »
De façon plus imagée, une petite histoire de mon enfance dit superbement la même chose :
Deux grenouilles étaient tombées dans un pot à lait. Impossible d’en sortir, tout au plus pouvaient-elles nager en rond dans le liquide blanc et crémeux. Au bout d’un long moment, l’une d’elles, épuisée et découragée, abandonnant une lutte sans espoir et une situation sans issue, se laissa couler.
L’autre continua cette lutte dont elle savait pourtant qu’elle était vaine. Quelque chose en elle contre toute évidence ne voulait pas lâcher.
Désespérée, les pattes raidies par les crampes, elle n’en continuait pas moins de battre le lait de toutes les forces qui lui restaient.
Tout à coup, le lait sous elle devint plus épais, et peu à peu se figea. Hors d’haleine, la grenouille était affalée sur une motte de beurre.
Un esprit chagrin dirait que la jarre était trop haute pour qu’elle pût espérer en sortir, et qu’elle n’avait échappé à la noyade que pour mieux mourir de faim.
Je ne mange pas de ce pain-là, et persiste à croire qu’aller tranquillement au bout de ses forces est la définition même de la vie.

Voir CATASTROPHE