Pali sulla laguna 12, 2008, 36x51 cm



L’aquarelle va à l’essentiel. Elle coule de source, ce qui ne veut surtout pas dire qu’elle ne peut être qu’improvisée. Simplement, l’aquarelle dépend directement de son médium, l’élément eau, dont elle épouse fidèlement le fonctionnement toujours logique, mais naturellement capricieux…
Avec l’aquarelle on n’est donc jamais sûr de son fait : plus que tout autre technique elle fait la part du hasard. Avec elle, rien n’est jamais acquis, tout recommence à chaque fois. On ne s’improvise pas aquarelliste, parce que l’aquarelle est par nature improvisation : le peintre est en collaboration et négociation constante avec un élément insaisissable, il est à tout instant dans le réel.
On peint à l’huile, mais on peint avec l’aquarelle.

L’aquarelle, c’est marier l’eau, l’air, la terre et le feu, peindre, à travers la lumière, les quatre éléments émergeant de la nuit du néant. Pour faire voir le cinquième, qui est l’invisible.

Quand je veux ancrer (pas fixer !) ma peinture, situer une micro présence dans l’infini présent, j’utilise le cinquième élément des chinois, le bois. Je dessine poteaux et arbres, qui donnent un sens, offrent un repère. Mais s’il faut savoir jeter l’ancre, il faut aussi pouvoir la lever pour appareiller vers l’inconnu. Un tableau « vide » (je ne parle pas des « monochromes », qui relèvent la plupart du temps de l’imposture) ne l’est que parce que nous ne savons pas lire le vide, c’est à dire le laisser nous remplir.

Le problème avec l’aquarelle, c’est que beaucoup d’aquarellistes la figent, alors que l’aquarelle est faite pour bouger. Elle est tellement faite pour bouger qu’elle peut rendre la vibration du silence, le mouvement imperceptible de l’immobilité. L’aquarelle peut peindre le calme plat, en donnant à voir à travers l’infime vibration de la lumière le frémissement qu’il couve.

Les aquarelles manquent souvent de ce que j’appelle la profondeur. Il me semble que c’est une question de transparence. On n’obtient pas la vraie transparence, ce que j’appelle les couleurs de la lumière, en se contentant d’une transparence, mais en tentant d’en créer plusieurs. Mettre à plat sur le papier une lumière sans lui donner le volume auquel elle a droit, c’est la tuer ou au moins la stériliser. Montrer, c’est bien, évoquer, c’est mieux.
Les lavis superposés de couleurs semblables ou différentes, le travail sur le mouillé, les réserves postérieures au coton tige ou au pinceau absorbant, toutes sortes de moyens peuvent concourir à créer l’espace, à restituer une atmosphère. Même si ce n’est que de vide, le vide est toujours plein !
Sans ce travail sur l’épaisseur impalpable, une aquarelle se bloque dans l’anecdote, ou du moins laisse inexploitées une bonne part des ressources qui sont propres à cette technique dont on ne se souviendra jamais assez qu’elle est une approche tout à fait spécifique de la peinture.

Copier, copier, copier ! C’est aussi utile que de travailler sur le motif.
Mais il y a bien des manières de copier : copier n’est pas forcément s’efforcer de reproduire à l’identique, ce peut être aussi s’inspirer de l’œuvre, se l’incorporer, la transformer selon sa propre vision, voler telle ou telle technique en tentant de retrouver l’effet obtenu par l’autre.
Toujours copier ce qu’on aime, ce qu’on envie, ce qu’on voudrait savoir faire. Et toujours tenter de faire mieux que l’original ! C’est le plus sûr moyen de rester – très – modeste…

La question du séchage : quand laisser sécher, quand travailler dans le mouillé ?

La peinture, c’est incarner l’infini dans le fini. De la lumière des couleurs aux couleurs de la lumière (d’où l’importance du gris et de ses métamorphoses/métastases).
Donc, ne pas emprisonner l’aquarelle dans le dessin.

AQUARELLE
Il faut oser la douceur dans l’aquarelle. Quand seras-tu doux si tu ne l’es pas dans l’aquarelle ?

LIBERTÉ
On peut utiliser toutes sortes de choses, mêler encre de Chine ou thé ou terre à l’aquarelle, se servir de pastel pour les blancs (bien fixer !), gratter, faire des projections avec une brosse à dents, etc. Prendre exemple sur Turner, modèle absolu, qui a littéralement créé l’aquarelle en tant qu’instrument pictural autonome régi par ses propres lois. Mais aussi sur Hugo, qui utilisait tout ce qu’il avait sous la main !
Ce qui, la vraie liberté naissant des contraintes qu’on se donne, n’empêche nullement de choisir avec un soin maniaque ses couleurs, ses pinceaux, ses papiers, ses modes opératoires, en cherchant à toujours améliorer les moyens qu’on se donne.

LUMIÈRE
Guider la lumière, et pour ce faire se laisser guider par elle. Les lavis conduisent la lumière où elle et son peintre veulent qu’elle aille.

THÉ
J’ai pris beaucoup de plaisir à utiliser des lavis de thé dans mes aquarelles.
Certains thés à la chaude et transparente nuance rouge orange doré confèrent à la lumière du papier une sorte de douceur qui fait que l’atmosphère y semble tiède et rehausse avec subtilité les nuances des couleurs appliquées par la suite. Le lavis devient alors plus que jamais une sorte d’understatement, une façon d’orner sans y toucher, de révéler sans exposer, de faire apparaître sans montrer. Le comble de l’aquarelle, en somme ! D’où peut-être le goût des anglais pour l’aquarelle, vision du monde autant que thé-chnique…

PEINDRE LA NATURE
« Il s’agit en effet d’encourager les peintres à étudier fréquemment la nature afin de « tout mettre comme par écrit et de graver en [leurs] pensées le caractère des choses » et, le cas échéant, s’il leur manque « quelque exemple de la nature », de s’aider « de cette provision amassée en [leur] mémoire » et de la sortir « de [leur] esprit ». La « provision » amassée « sur le vif » et emmagasinée dans la mémoire et l’imagination du peintre pourra ensuite être restituée dans des dessins ou des tableaux exécutés « de tête » (uyt den geest), sans le support direct et immédiat du modèle naturel. »
Formulation un peu maladroite, car elle ne fait pas assez la part de l’alchimie intérieure consciente et inconsciente par laquelle le peintre fait sien le matériau en se donnant à lui corps et âme, passant ainsi de l’anecdote à l’essence et du cliché au symbole.
Ce que précise déjà plus clairement mais encore insuffisamment la page 82 : « Pour imiter correctement la nature, il s’agit moins de la montrer telle qu’elle est, ni même telle qu’elle apparaît, que de tâcher d’en représenter une certaine « idée », en choisissant les qualités, les motifs et les effets susceptibles de créer l’illusion que l’œuvre est bien le miroir de la nature. »
Le tableau n’est pas tant le miroir de la nature que son reflet épuré, et retranscrit par notre imaginaire ; il est le regard du peintre sur la nature, et il invite à la regarder non pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle nous évoque.
Les textes entre guillemets sont extraits de Dans l’atelier de Rembrandt, Le maître et ses élèves, Jan Blanc, Éditions de La Martinière 2006


Auguste Renoir disait un jour à son ami le collectionneur Georges Besson :
« Comme c’est difficile de trouver exactement le point où doit s’arrêter dans un tableau l’imitation de la nature. Un tableau n’est pas un procès-verbal. moi, j’aime les tableaux qui me donnent envie de me balader dedans lorsque c’est un paysage, ou bien de passer ma main sur un téton ou sur un dos si c’est une figure de femme. Corot avait des mots très crus pour exprimer cela. »
Corot disait qu’il ne peignait pas avec sa main, mais avec sa queue.

Peindre, c’est créer de la mémoire – donc de la vie. Peindre est par conséquent une affaire sérieuse, un jeu peut-être, mais pas un jeu d’enfant.
On ne peint bien que ce qu’on aime. Choisir ce qu’on veut peindre, c’est déjà lui rendre hommage.
Ce qui compte, entendez ce qui conte, ce n’est pas la précision, c’est l’atmosphère, pas l’imitation mais l’impression.
L’impression naît de la lumière du paysage, et des couleurs qu’elle prend à travers les traits saillants, ce qu’on appelait du temps de Louis XIV les accidents intéressants…
Les traits saillants sont les clefs de l’âme du paysage.
Pas de paysage sans ciel, pas de ciel sans nuages. Ce qui révèle l’âme du paysage, c’est l’atmosphère, ce sont ses composantes variables : la lumière, le vent, les nuages, l’eau. La peinture parle moins des formes que de leurs jeux dans la lumière, avec le ciel et l’eau.

Un paysage est un monde.
Chercher l’énergie du paysage, sous ses mouvements. Tout paysage a un mouvement principal, fruit de l’énergie qui l’anime.
Ce qui m’intéresse, c’est l’aspect énergétique, quasiment cosmique, du paysage, la façon dont il nous modifie dès que nous prenons la peine de le regarder pour de bon, c’est à dire de commencer à y vivre vraiment.


En peinture, comme en toute matière, se méfier des réussites prématurées. Elles nous entraînent sur de magnifiques fausses pistes, nous ouvrent toutes grandes de superbes voies de garage. Et suivant notre degré d’intelligence et d’honnêteté, nous mènent à la routine ou au découragement. Une réussite qu’on n’a pas eu le temps de mériter fait plus de dégâts qu’un échec qu’on a pris le temps de méditer.
Utiliser sa chance, non s’y abandonner.
N’oublions donc pas de faire toute sa place à l’erreur, cette bénédiction ! La correction ne vient jamais en premier lieu. Sans essai et erreur, rien à corriger…

Dans toute recherche, ce qui compte, ce n’est pas ce que nous voyons.
Ce qui compte, c’est notre vision.

Les Skelligs depuis Saint Finian’s bay, 2007, 36x51cm
Collections Musée-muséum départemental de Gap



Du Fresnoy, De l’art de peinture, 1673
pages 71 à 76