REMARQUES EN PASSANT 30

Footez-nous la paix avec votre Transe !


On a le droit d’aimer passionnément le football – on aimerait avoir aussi celui de ne pas l’apprécier. Particulièrement quand on veut nous imposer de participer au nom de la France à la Transe qu’il engendre chez ses fanatiques.
Quand un pays tout entier pense avec ses pieds et s’en félicite, il n’y a pas de quoi pavoiser.
Confondre France et transe, communion et conneunion, c’est prendre l’hystérie collective pour de l’enthousiasme.
Cette « victoire » est celle de l’argent-roi, elle illustre notre irrésistible décadence morale et politique, et confirme notre dévote soumission à la corruption généralisée.
Ce triomphe est celui de l’aliénation universelle, de la joie obligatoire et de la manipulation systématique.
Quant aux « intellectuels » qui volent au secours de « notre » victoire pour tenter de lui donner le lustre de l’épopée, ces Gribouilles feraient pitié s’ils n’étaient avant tout des traîtres à l’esprit, complices intéressés ou naïfs de toutes les dérives en cours.
Au fait, qui parlait de populisme ? Pris dans son acception la plus péjorative, jamais ce mot si souvent utilisé mal à propos n’aurait été mieux employé…
C’est sans doute pourquoi on ne l’a pas entendu.

Ce n’était qu’une remarque en passant. D’autres suivent ci-dessous, si le cœur vous en dit, comme disait Lucien Jeunesse…


« Tout ce qu’on peut vraiment affirmer, c’est peut-être que la plus grande menace pour l’humanité réside dans le fait de renoncer à des scrupules individuels en faveur de dénominateurs institutionnels. D’adopter des slogans, d’accepter sans rien dire des animosités préconditionnées de préférence à des décisions difficilement prises par la conscience individuelle et humaniste. Le véritable héroïsme réside, comme il résidera toujours, non pas dans le conformisme ni même dans le patriotisme, mais dans des actes de courage moral solitaires. »
John Le Carré, The clandestine Muse

« Je n’ai jamais aimé de toute ma vie quelque peuple ou quelque collectivité que ce soit – ni le peuple allemand, ni le peuple français, ni le peuple américain, ni la classe ouvrière, ni quoi que ce soit d’autre du même genre. Je n’aime effectivement que mes amis et je suis absolument incapable de tout autre amour. »
Hannah Arendt

Ernest Renan le disait en 1882, à la fin de sa conférence
Qu’est-ce qu’une Nation ? :
« Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé ».



ALTRUISME
Je ne crois guère à l’unanimité, et tout consensus m’est d’emblée suspect.
Quant aux supposées forces de l’ordre, elles sont trop enclines à se mettre au service des désordres de tous les pouvoirs pour que j’aie en elles une confiance aveugle.
Mais je crois à des valeurs sur lesquelles nous pouvons tous, au moins par moments, nous accorder, quand un lieutenant-colonel de gendarmerie donne sa vie pour elles, pour sauver, très concrètement et très simplement, un autre être humain.
J’admire d’autant plus son sacrifice que je ne suis pas du tout sûr que je serais capable d’accorder ainsi mes actes à mes intentions. Avoir en tête des valeurs est bien, y être fidèle au risque de sa vie est une toute autre affaire.
Je garderai la mémoire de cet homme, dont la conduite fait d’autant mieux apparaître, en un terrible contraste, l’ignominie du comportement d’un ancien président de la république aux pratiques manifestement mafieuses, véritable modèle de lâcheté et d’hypocrisie, poussant la fourberie jusqu’au grotesque, qui ne cesse de parler de son honneur alors qu’il ignore jusqu’au sens de ce mot et déshonore en même temps que lui-même le pays qu’il a dirigé avec une invraisemblable irresponsabilité.
Il est des hommes qu’on honore, il est des pauvres types qu’on méprise.
À en juger du moins par les divers présidents de la Ve République, les serviteurs valent presque toujours mieux que les maîtres. Il serait temps qu’ils s’en avisent, au moment où la situation de notre espèce se révèle à chaque instant plus désespérée, et par notre faute.
Le dérèglement climatique et la 6e extinction de masse des espèces vivantes sont désormais hors de tout contrôle, resterait à tenter de gérer le désastre pour en minimiser si possible les conséquences, bref à tenter de devenir responsables, à l’image de l’homme que nous célébrons et à l’inverse de nos « responsables »…
Mais c’est encore trop nous demander, et nous continuons de plus belle à regarder ailleurs et à nous laisser obnubiler par des détails, espérant oublier la réalité à force de divertissement.
Les enfants aussi croient échapper à leurs peurs en fermant les yeux pour ne pas voir les images qui les poursuivent.
Il y a des buts plus importants que les tristes célébrations de ceux de nos prétendues équipes nationales. Il est vrai qu’on ne risque pas de les atteindre en restant le cul posé sur un divan. Il est tellement plus facile de crever vautré que de vivre debout…

AMÉRICAINS
Les américains ? Ils arrivent avec leurs gros sabots, ils ne savent rien et ils décident de tout.

BERNADETTE
En ce qui concerne Bernadette, morte depuis 7 ans, c’est simple : je me reconnais le droit de vivre sans elle, je ne me reconnais pas le droit de l’oublier, et le voudrais-je que j’en serais incapable. Il est des présences qui se moquent de l’absence.

BILAN
Je viens d’écouter le charmant et un peu futile Debray chez Laure Adler. Il est sympathique, il a l’humour des idéalistes désabusés ayant pris du recul sur le banc de touche, mais il en est resté aux vieilles lunes des Lumières et prend Valéry pour un prophète.
Il sent plutôt juste, mais il pense faux, croit que le seul vrai progrès est technologique, n’a pas la moindre idée de ce qu’est l’écologie ni de la situation actuelle, se complaît à des paradoxes puérils et caresse de modestes rêves de postérité.
Bref, son Bilan d’une faillite semble être l’agréable confession d’un naufrage, celui du faux humanisme très XIXe d’un vieux monsieur désormais bien élevé, puisqu’édenté.
Il m’a semblé, mais je n’en jurerais pas, entendre claquer son dentier…
Grande leçon : tâchons de ne pas nous déjuger sur le tard, ça ressemble trop à ces anciennes catins mondaines que la décadence de leurs appas convertissait faute de mieux à la dévotion.

BLESSURES
Ne sont jamais inutiles si l’on accepte cette douloureuse évidence qu’elles offrent un terrain idéal à qui veut faire pousser des fleurs.

CIVILISATION
Ce que nous nommons pompeusement « notre civilisation » ne mérite en rien d’être ainsi désigné. Déracinés et dès lors peu à peu dénaturés, nous sommes devenus incapables de vivre une authentique présence au monde dont nous sommes partie sans vouloir le savoir ni en assumer la responsabilité ; notre mode de vie hors sol, notre addiction à l’abstraction nous condamnent à des simulacres perpétuels.
L’insouciance de la présence directe au monde, de la présence naturelle, notre espèce, sa partie occidentale du moins, l’a perdue ; elle fait semblant d’être là, s’efforce laborieusement de faire la fête, parce qu’elle n’est plus en fête, ayant perdu toute simplicité. Si la vraie vie est une fête, la fête programmée, ce n’est pas une vie.

« CIVILISATION », Régis Debray (voir le compte-rendu de ce livre par l’ami Klépal dans son blog « Épistoles improbables » et le commentaire que j’en fais, partiellement repris ci-dessous) :
La mutation, que nous étions quelques-uns à espérer il y a maintenant plus de 40 ans, n’a pas eu lieu à temps, le « progrès » est allé trop vite, et l’extinction est largement commencée. La sixième extinction de masse des espèces ne concerne pas que les insectes, les oiseaux et les mammifères, elle vise au premier chef la seule espèce devenue réellement nuisible, la nôtre, dont l’inconscient collectif est en pleine panique. Debray reste un intellectuel du XIXe prolongé, pour qui l’homme par essence surplombe la nature. C’est l’inverse qui est vrai, nous n’avons à passer que le témoignage de notre incurie, et il est de moins en moins probable qu’il y ait des successeurs pour y survivre. Tout comme Debray en tant qu’intellectuel, en tant qu’espèce et par la grâce de notre « sagesse », nous sommes des dinosaures. Je compte sur les fourmis pour prendre le relais – si tant est qu’elles en aient envie, car elles n’en ont nul besoin.
JK : Remarque de taille qu’il convient à l’évidence d’intégrer dans le raisonnement.
Merci de me rappeler à l’ordre sur ce point.Un vieux fond d’optimisme latent, que j’ignorais en moi, m’a poussé à une impasse. Je trouve malgré tout sévère de qualifier Debray d’intellectuel du 19e siècle prolongé.

AS : Sévère mais juste, une fois admis, ce que j’aurais dû énoncer clairement, honte sur moi, que nous appartenons tous deux à ce même sous-genre de la bourgeoisie humaniste classico-romantique en voie d’extinction ! Ce qui me désespère plus encore que la disparition de ce qui fut une civilisation et que mon naufrage personnel concomitant, déplaisant épiphénomène, c’est de voir s’éteindre en même temps que nous ceux qui auraient dû nous succéder. Et d’être, forcément, en partie responsable de cet avortement suicidaire, et le mot avortement ne vient pas par hasard sous mon clavier.
Je voulais ce matin te proposer de "contextualiser" ma remarque apparemment extrême, mais tout bêtement rationnelle, en écoutant si ce n’est déjà fait, le 8h20 de France-Inter avec Cyril Dion, le sympathique et un peu naïf réalisateur de « Demain ». Tout y est dit, y compris, en filigrane, de la terrible impuissance des hommes de bonne volonté à faire évoluer si peu que ce soit le rapport de forces avec les tenants de l’Homo Deus, de l’Argent Roi et du Tout pour ma gueule, une Trinité post-moderne irrésistible parce qu’elle est le rêve collectif inconscient de notre espèce consciente…
L’optimisme tant vanté actuellement n’est qu’une des facettes, et l’une des plus dangereuses, de notre aveugle mégalomanie. Il n’est pas d’optimisme cohérent sans le correctif et l’appui d’une impitoyable lucidité.
Je crois qu’on ne peut tenter de sauver un bateau qu’en ayant clairement repéré les voies d’eau, établi un diagnostic aussi objectif que possible, exploré les éventuelles solutions. Le seul optimisme digne de ce nom est le pessimisme assumé et surmonté, celui de la grenouille qui bat le lait jusqu’au bout de ses forces et survit contre toute attente au moment où émerge le beurre…
Ce n’est pas du tout ce qui se passe actuellement où l’on voit les plus faibles abdiquer devant les écrans du foot people et se laisser saigner comme poulets en batterie tandis que les plus forts tirent à hue et à dia à qui arrachera le plus gros bout de gras de la carcasse pantelante de notre monde, sans voir que c’est de leur propre chair corrompue qu’ils se régalent et s’empoisonnent.
Ce spectacle ne m’empêchera pas de ramer, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, et parce que l’engeance maudite à laquelle j’appartiens a eu, a encore parfois, cet élan qu’on appelle le génie – et que je voudrais que cela survive, en se mettant enfin au service de la vie et de sa beauté.
Je sais, c’est ronflant, gonflant même peut-être, mais fallait que ça sorte !

CALCULATEURS
Il y a deux sortes de calculateurs, ceux qui savent qu’ils calculent et ceux qui n’en ont pas conscience. Mais aucun être humain n’échappe à sa condition de calculateur, qui lui est dictée d’entrée par le simple fait d’être capable d’envisager l’avenir et de se souvenir du passé. Dès qu’il y a conscience, il y a calcul, et le meilleur moyen de ne pas être victime de nos calculs est de prendre conscience que consciemment ou non, nous passons notre temps à calculer…

CASSE-PIEDS
Les gens qui ne font pas chier le monde au bout d’un moment, c’est qu’ils étaient chiants dès le départ.

COMPLAISANCE
Un dimanche avec France-Inter, une série de pantins même pas drôles. Mais dans quel monde vivent-ils ?
J’écoute d’une oreille Frédéric Lenoir, nouveau philosophe abruti comme l’université nous en a pondu à la douzaine depuis une trentaine d’années, beau type de parasite collé à Spinoza comme la tique à la victime dont elle tire sa subsistance, une de ces vraies têtes de nœud médiatiques chez qui rien ne dépasse que la volonté panique d’être reconnu, à l’inverse de son père, avec qui j’ai échangé un court moment, et que j’aimais bien, parce qu’il était, lui, un vrai philosophe, en action, ce qu’on appelait autrefois un type bien.
Les deux « penseurs politiques » de service et leur prétendu « grand débat », et pour faire bonne mesure le désolant Pascal Bruckner ânonnant une fois de plus les lieux communs de ses certitudes rances…
Sur France-Musique, trois critiques compétents laissent lâchement une invraisemblable dinde, chef du service culture de La Croix, tenter d’imposer comme référence une version particulièrement foireuse du Lac des cygnes de Tchaïkovsky.
Ce n’est pas le service public de l’audiovisuel qui déconne, c’est l’ensemble des prétendus experts qui l’infestent de leur présence aussi bavarde que stérile.

CONFORMISME, CONSENSUS
Émile Fabre, dramaturge et administrateur de la Comédie Française entre les deux guerres : « Le public est à ce point esclave de l’opinion reçue qu’il lui arrive de croire parfois qu’il s’amuse à un spectacle qui l’ennuie. »
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a jamais été aussi vrai.

CONSCIENCE
S’inscrire dans la durée, tel est le sens de la conscience, telle est son essence et tel son rôle. Nous l’oublions sans cesse, inconscients que nous sommes. Qui ne croit qu’au changement est un traître à soi-même et à ses frères humains.

CONS (petits)
Il faut être aussi désespérément cons que les politiques actuels pour croire que les entrepreneurs sont le sel de la terre et que l’entreprise néo-libérale est l’alpha et l’oméga de l’activité humaine. S’affiche dans de telles croyances la bêtise crasse des demi-cultivés ambitieux.

CONTACT (entrer en)
Pour comprendre la peinture, c’est à dire pour la sentir, il n’y a guère que les peintres, et les rares personnes parmi les gens très simples qui aiment assez la vie pour prendre le temps de la contempler. Galeristes et conservateurs interposent entre elle et eux des couches de culture qui la voilent, la dénaturent et occultent l’essentiel, qui est l’impression.
Dans notre vie d’êtres bien plus sentants que pensants, tout contact réel demande beaucoup d’innocence et, pour s’approfondir, une vraie culture, assez profonde pour ne pas s’imposer au ressenti et pour l’enrichir de ses résonances et de ses échos.

CRÉATION
La créativité aime le collectif. La créativité se porte bien d’être le fruit d’un groupe, mais la création est affaire personnelle. On voit mieux, plus varié et plus précis à plusieurs, mais la vision que demande la création vient de l’âme, et ne se partage pas. La créativité se repaît de l’anecdote et du commentaire, que fuit la création, qui ne co-naît que l’essentiel, fût-ce par le biais de l’anecdote, qu’elle n’emprunte jamais que pour la rapporter au symbole.

DÉGÉNÉRESCENCE
Le sirupeux, consensuel et quelque peu niaiseux (« et bonjour à tous ! ») Frédéric Pommier, qui sévit dans la revue de presse du week-end sur France-Inter est comme son confrère Askolovitch un homme moderne, dans le coup, un de ces hommes prêts à emboîter le pas à n’importe quelle mode pourvu qu’elle donne l’apparence de l’audace tout en restant dans la norme du conformisme bien en cour le plus strict. Maintenant qu’il est de règle parmi les membres de l’élite de massacrer systématiquement le français, il a su voler au secours de la victoire en créant un néologisme particulièrement ignoble, évoquant avec l’audacieux lyrisme dont il est coutumier « la dégénération de la fête ».
Rappelons-lui l’existence du mot « dégénérescence », avec lequel vu l’état de son français il serait souhaitable qu’il fît connaissance au plus tôt afin, si possible, de remédier à sa « dégénération ».
Quelques jours plus tard, un de ses collègues de France-Inter, à qui la jalousie donne des ailes, tente joliment de se hausser au même niveau de barbarie en lâchant : « La France va laisser à l’Inde la place envieuse de cinquième puissance mondiale »…
C’est ce qui s’appelle être inspiré.
L’inspiration, ce n’est pas le genre de Léa Salamé, qui laboure plus volontiers le sillon si fréquenté de la bonne grosse faute d’accord : « Juppé et Fillon, au fond, ils sont libéral tous les deux… »
Toujours sur France-Inter, Hervé Morin, ce centriste excentré, n’est pas aussi inspiré, mais se montre contrairement à son habitude assez excentrique en matière d’accord, assénant sans trembler : « Enfin l’économie française est capable d’affronter le monde qui est devant lui… »
Et Thomas Legrand de lui emboîter le pas : « L’élaboration de ces nouvelles normes seront… »
De son côté, Pascal Boniface, bien que président de l’IRIS, n’y voit pas très clair quand il s’agit de distinguer le singulier du pluriel : « Celui qui est un danger pour (je ne sais plus qui), ce sont les États-Unis… »
Rejoint par Marlène Schiappa, caricature de bonne élève, qui ânonne de sa voix d’adolescente encore en boutons : « si on prend les chiffres globals… ». Mais peut-être l’écrit-elle « globales », féminisant ainsi les chiffres avec une audace militante dont on ne peut que lui savoir gré…
D’un avocat, peu maître de sa langue en dépit de son titre, coup sur coup, ces deux consternants désaccords :
« ce principe de la présomption d’innocence à laquelle je suis profondément attaché. »
« Pour le reste, ce seront aux juges d’apprécier… »
Pour ma part, je n’apprécie pas.
Enfin, ce journaliste sur France-Inter : « Il y a une tension persistante entre les États-Unis et ses partenaires commerciaux ».
Un catalogue exhaustif de notre décadence linguistique serait aussi fastidieux que les barbarismes branchés de nos élites pensantes. Soyons philosophes, mettons-nous en capacité d’accepter la nécessaire évolution de la parole contemporaine, en adoptant « l’attitude socratienne », comme dit si bien tel journaliste de France-Inter, ça a tout de même plus de gueule que de se confiner dans la ridiculement conservatrice attitude socratique.
Cerise sur ce très lourd gâteau, un haut fonctionnaire de l’Éducation nationale, lors d’un Téléphone sonne sur la condition professorale mené par la redoutable Fabienne Sintès (qui réussit là un vrai chef-d’œuvre de désinformation, tant le « choix » des invités et des auditeurs intervenants exclut toute parole non conforme), susurre avec une contagieuse émotion : « Cette idée de la solitude de l’enseignant est très important. »
Ils me fatiguent, à la longue, tous ces importants importuns…

DÉGRADANTS (propos)
Pour les hypocrites et les aveugles volontaires, ce n’est pas faire des horreurs qui est dégradant, c’est oser dire des horreurs sur ceux qui en font, qui plus est impunément. Appeler un chat un chat et Woerth ou Cahuzac de parfaits salauds en même temps que de dangereux crétins me semble au contraire le minimum que puisse faire quiconque croit encore à la liberté, à l’égalité et à la fraternité que ces minables escrocs, que ces menteurs professionnels, n’ont cessé de violer avec le plus parfait cynisme.
« Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre », cette vieille métaphore n’a jamais été plus pertinente pour définir l’attitude d’une bourgeoisie dévoyée qui a achevé de se déshonorer en se mettant à la remorque des pires chevaliers d’industrie du néo-libéralisme financier mondialisé dans l’espoir de ramasser quelques miettes régurgitées par ses maîtres et de préserver les minables privilèges octroyés aux larbins les plus méritants.

DIAGNOSTIC
C’est insensiblement, par petites touches, en s’avançant sous le masque des grands mots affichés pour dire le contraire de ce que l’on fait, que s’installe la dictature. Nous en sommes au moment où l’anesthésie n’est même plus nécessaire, car le patient se réveille trop tard, et constate, groggy, que le manteau protecteur qu’on lui promettait est une camisole de force. Voter Macron contre Le Pen, c’était voter la peste contre le choléra, il fallait être aveugle pour ne pas discerner dans le discours et la manière de parvenir au pouvoir de ce jeune aventurier sans scrupule et de ses soutiens les prémisses tout à fait conscientes d’une mise à mort enfin définitive des principes et du fonctionnement d’une société humaine digne de ce nom. Ce qui s’institutionnalise aujourd’hui, c’est une oligarchie mafieuse tout entière fondée sur l’exploitation maximale du faible par le fort et l’accaparement du pouvoir et des profits par une infime minorité de super riches, dont la haine du peuple se reconnaît entre autres à la diabolisation du prétendu « populisme » par les médias qu’ils contrôlent.

DRÔLERIE
Ce que ne comprennent pas toujours les comédiens qui souvent sont gens de routines, comme tous les angoissés, c’est que ce n’est pas drôle d’être drôle tout le temps. S’ils se font un devoir de s’amuser, c’est qu’hors de scène ils s’ennuient, et pour ne pas souffrir du quotidien le fuient en se donnant le spectacle un peu lassant de leur drôlerie obligée.

EXCESSIF
Si tout ce qui est excessif est insignifiant, alors jamais rien n’a été plus insignifiant que le grotesque hommage rendu à Johnny Halliday. N’en déplaise à Frédéric Lenoir et à quelques autres chantres intellectuels de l’unanimisme tricolore obligatoire, grands vendeurs de patriotisme à deux balles en faveur de l’actuel président, et coupables de haute trahison envers leur devoir d’intellectuels, qui n’est pas plus de jouer du pipeau au service des tyranneaux que de hurler avec les moutons.

FÉMININ MASCULIN
Nous sommes peut-être sur le point de renoncer à un patriarcat stupide et destructeur, qui a réduit les femmes à une condition inférieure aussi néfaste pour elles que pour les hommes. Mais il ne faudrait pas que sous prétexte de rétablir l’égalité entre les sexes les femmes deviennent à leur tour des hommes de pouvoir (certaines l’ont été même sous le régime patriarcal) ; il me paraît évident qu’il vaudrait mieux voir les hommes s’inspirer des qualités des femmes que voir les femmes s’emparer des défauts des hommes. Les femmes de pouvoir actuelles sont pour beaucoup tout aussi enchaînées aux mortelles séductions du pouvoir, du profit et du paraître que les mâles les plus dominants de notre monde de machos. Il suffit de regarder d’un peu près le cursus et les comportements de ces femmes-là pour constater qu’elles souffrent des mêmes névroses, voire des mêmes psychoses que leurs collègues masculins.
Prenons-y garde, détruire le patriarcat, ce n’est pas faire monter les femmes qui le souhaitent sur le fragile et dérisoire piédestal masculin, c’est en faire descendre les hommes qui s’y pavanent afin qu’ils redeviennent humains, c’est à dire à la fois masculins et féminins, à égalité avec leurs concitoyens et concitoyennes, sans plus rechercher à dépasser autrui, ce qui revient tôt ou tard à l’opprimer. Là est la liberté, là est l’égalité, là est la fraternité.
Non dans un monde où 1% de prédateurs mâles ou femelles égaux entre eux exploitent et ruinent 99% d’êtres humains peu à peu réduits en esclavage.
La vraie égalité entre les sexes n’existe pas sans l’égalité entre les citoyens.
Rien de plus profondément machiste et patriarcal que le macronisme des « premiers.ières de cordée ».

FOOTBALL
J’ai adoré jouer au football, j’ai adoré l’ambiance des stades des années 50, passionnée et bon enfant, et c’est précisément pourquoi je refuse absolument de participer à l’épidémie d’hystérique abrutissement qui pour la seconde fois rassemble un peuple soudain frappé de débilité pronfonde autour d’une manifestation intégralement pourrie par son addiction au dieu Argent et son ignoble et démente promotion des pires « valeurs » fascistoïdes.
L’anti-jeu systématiquement pratiqué, la prime constamment accordée à la brutalité et à la tricherie, qui ne sont plus reconnues pour telles mais valorisées comme autant d’exploits, le délire collectif d’une populace abandonnée au plus dangereux des instincts grégaires et à des jeux d’identification morbides, l’exploitation par la « politique » et « l’économie » de ces foules décérébrées, rien de tout cela ne justifie l’euphorie grotesque orchestrée par des médias plus asservis que jamais au règne de la médiocrité.
Ce qui fut un divertissement plutôt sain et un sport passionnant et formateur n’est plus qu’une pitoyable caricature des jeux du cirque, et relève du même diagnostic de corruption, de clientélisme, de décadence et d’abrutissement volontaire.
Totalement dénaturé, le sport actuel acte chaque jour davantage le retour de l’espèce humaine à un stade de sauvagerie pré-humaniste qui justifie a posteriori les dérives des régimes totalitaires qui avaient montré la voie en instrumentalisant la pratique sportive.
Philippe Poutou l’a bien dit : « C’est ça, être tous ensemble ? »
J’attends de la vie et de mes frères humains d’autres communions que cette consternante chienlit. Et d’un président digne de ce nom autre chose que des postures de dingue…

HABITUDE (la force de l’)
On s’habitue à tout, singulièrement au pire. Il y a encore quelques années, chaque nouveau scandale nous secouait. Ils étaient moins nombreux et plutôt moins graves que ceux qui aujourd’hui nous laissent indifférents ou résignés.
Je m’étais dit l’autre jour : « Ce scandale-là, trop énorme, je vais en parler ! »
Le lendemain matin, quand j’ai voulu la stigmatiser, cette infamie, je l’avais oubliée…
En est-elle moins infâme ?

IMPROVISATION
On n’improvise pas ce qu’on sait, on improvise ce qu’on transforme et transformer ne s’improvise pas. L’improvisation créatrice suppose un entraînement aussi régulier qu’exigeant. Sans cela, elle se résume très vite à des trucs et l’on n’a plus affaire qu’à un pâle ersatz de ce que peut être une authentique improvisation : une création immédiate et spontanée.

INDIVIDU
Terme dépréciatif utilisé pour désigner et stigmatiser tout être humain n’ayant pas l’heur de plaire à la maréchaussée et au Sinistre de l’Intérieur.
L’emploi volontairement déshumanisant de ce mot est un signe majeur du mépris dans lequel les pouvoirs actuels tiennent quiconque ne leur est pas inconditionnellement soumis.

INSTANTANÉ
Cette libraire parisienne, sèche comme un distingué coup de trique, à qui j’avais commandé « L’événement Anthropocène » et qui m’ignore de la façon la plus grossière, tout occupée qu’elle est à échanger avec un autre intellectuel, comme elle sanglé dans l’uniforme standard du clerc français aussi snob que compassé, des propos autour du patron de P.O.L., qu’apparemment ils connaissent et de la petite gloire duquel ils se gonflent, ne se doutant pas plus que moi que leur demi-dieu de l’édition allait comme tout un chacun périr quelques jours plus tard dans un banal accident de voiture.
L’avouerai-je ? C’est assez brutalement que j’ai fait descendre cette ridicule pimbêche de son Olympe livresque.

JOHNNY HALLIDAY
Si de nombreuses anecdotes le concernant relèvent plus ou moins de la fiction, la suivante m’a été certifiée authentique par les musiciens qui l’auraient vécue.
Johnny réunit son équipe et lui adresse ces fortes paroles :
– Ok, le staff, j’vous ai réunis pour mettre les pendules à sa place !
– Euh, non, Johnny, hasarde un des présents, pour mettre les pendules à l’heure…
– Ah ouais, autant pour moi… J’vous ai réunis pour mettre les pendules à leur place ! »

INTELLECTUELS DE POUVOIR
M’ont toujours agacé au plus haut point ces intellectuels universitaires aussi brillants qu’inconsistants dont la France s’est fait une douteuse spécialité, et qu’elle exporte chez des américains dont la naïveté pataude s’émerveille des jongleries rhétoriques de ces bateleurs de l’esprit, faux penseurs et vrais hommes de pouvoir.

LACAN
Le Sarkozy de la psychanalyse. Comme l’agité du bocal, il a constamment dissimulé la platitude de sa pensée derrière la jungle du baratin.

MANQUE (présence du)
Ils sont rares, les êtres qui nous manquent même quand ils ne nous manquent pas, même quand volontairement ou non, nous les oublions.

MIROIR
Rares sont aussi les êtres humains capables de s’oublier assez pour supporter qu’on leur montre un miroir où ils se voient déformés tout en sachant que le miroir n’est pas déformant. De toutes les tâches humaines, la plus surhumaine est peut-être celle qui consiste à accepter de regarder la réalité en face, à commencer par la sienne.

MODERNISME
C’et grâce aux nazis que l’Homme est allé sur la Lune, la conquête de l’espace leur est due.
Modernisme et totalitarisme sont les deux faces d’une même hubris. La façon dont les États-Unis, incarnation du modernisme, ont repris pour leur compte le flambeau du totalitarisme dit tout de la vraie nature de leur régime « libéral » issu des Lumières. L’idéologie progressiste moderniste est liée par nature aux idéologies totalitaires. À la lumière des deux derniers siècles de l’histoire mondiale, il est temps de reconnaître enfin que le totalitarisme « scientifique » va de pair avec le totalitarisme politique, comme le montre aujourd’hui le si dangereux essor du transhumanisme, qui reprend les pires lubies du nazisme, enrobées dans une ignoble sauce scientifique millénariste qui aurait ravi Mengele et consorts. N’oublions jamais que l’industrie chimique et sa Weltanschauung sont littéralement à la source de tout ce qui s’est passé de plus ignoble et de plus monstrueux sur Terre depuis plus de deux cents ans.

MONNAIE (fausse)
Tout « amour » abstrait est une imposture. Ceux qui prêchent l’amour d’une idée ou d’un collectif sont des escrocs. Car l’amour ne se vit pas dans la tête, mais dans le cœur et les tripes. Aimer les idées n’est pas aimer, mais chercher un pouvoir.

MONOTHÉISME
Nous n’avons pas créé l’univers, c’est l’univers qui nous a créés. N’arrivant pas à accepter cette réalité, nous avons inventé les religions, et nous avons prétendu que le Dieu que nous nous inventions nous avait créés à son image, ce qui était une façon discrète, quoiq’un peu téléphonée, de nous diviniser par la bande. Les religions monothéistes sont à mes yeux des fantasmes anthropomorphiques, à ce titre puissants moteurs vitaux pour le meilleur et pour le pire, puisqu’à l’abri de leur hypothétique Créateur elles permettent de tout justifier, à commencer par le pouvoir absolu que nous brûlons d’exercer à l’égard de toute altérité : Gott mit uns, Dieu et mon droit, In God we trust, les formules abondent qui enrôlent notre Divine Invention au service de nos dérisoires ambitions.
Ayant été créés par Dieu à son image, nous sommes ses envoyés, et il s’ensuit que Dieu a créé l’univers pour pouvoir nous faire exister et le mettre à notre service afin que nous chantions sa gloire. L’univers dès lors n’est plus notre créateur, mais notre jardin, un jouet, une poire pour la soif, dont nous sommes de droit divin maîtres et propriétaires.
Cette façon carnavalesque d’inverser la réalité, loin de prouver notre confiance dans notre omnipotence, révèle combien notre inconscient collectif a conscience de notre impuissance. Plus nous tentons, dieux présumés et présomptueux, de recréer le monde à notre image, plus il nous rappelle que nous dépendons de lui bien plus qu’il ne dépend de nous.
Il n’y a qu’un Dieu, la Vie, et qu’une religion, vivre. Il n’y a donc qu’une religion pour chacun de nous. Une par personne, et qui pour être vécue doit rester personnelle. Tout prosélytisme est une offense à autrui et à soi-même, un refus de la vie libre et fluide.

MORTS
Les morts nous nourrissent, les morts sont là pour nourrir les vivants. En retour, nous les « nourrissons ». Comme des bébés. C’est tout le sens profond des cimetières italiens anciens : les bébés humains se nourrissent entre eux…
Le monde des morts est un monde vivant, conformément à la vision du monde véhiculée par le Tarot, pour lequel la mort ne peut être nommée, puisqu’à la fois inconnaissable et inexistante : rien ne se perd, rien ne se crée, ce que nous appelons la mort n’est que la continuation de la vie sous une autre forme. Dans L’Arcane sans Nom, la Mort boîte parce qu’elle n’est rien sans la vie, qui ne peut se passer d’elle. Le noir dans le Tarot, ce n’est pas le deuil, c’et la terre, la terre nourricière, condition de la fécondité.
Nous poussons un peu comme des plantes, et à San Michele, lieu de L’Arcane sans nom, les morts aussi poussent, les morts deviennent les fleurs, les haies qu’ils nourrissent, et leurs bras s’enlacent aux cyprès dont les doigts raidis par un élan irrésistible nous indiquent la bonne route, le chemin à suivre : vers le ciel…

NÉCROLOGIE
D’Ormesson et Johnny. Leur disparition porte un coup sévère à la société du grand décervelage à laquelle ces deux imposteurs ont tant contribué, d’où l’éloge unanime réunissant en un chœur hélas trop naturel les braiements hypocrites des salauds aux bêlements aussi consternés que consternants des imbéciles.

NÉOLOGISME
Le néologisme est à la mode. Mais tout le monde n’a pas le talent de Ségolène Royal dont la bravitude restera à coup sûr dans les annales de la sottise créatrice. Léa Salamé n’en est pas encore à ce niveau olympique, mais son récent « J’ai pas envie de systémiser » montre une bonne volonté, presque un zèle, qui autorise à fonder de grands espoirs sur l’avenir antigrammatical de cette redoutable péronnelle.

ORDRE DU JOUR (L’)
À en juger par son Prix Goncourt, « L’ordre du jour », Éric Vuillard, comme beaucoup d’écrivains actuels, fait dans la littérature, avec application. Cet opuscule aligne comme à la parade de petites crottes textuelles allègres, sèches, creuses, émiettant avec une élégante componction des anecdotes qui se voudraient symboliques. Donneur de leçons sans vouloir en accepter l’inévitable ridicule, pédagogue sans vouloir y toucher, Vuillard prend du recul, mais sans oublier de mettre son grain de sel, mime la hauteur de vue mais à partir d’un point de vue subjectif qui rend son discours aussi superficiel qu’anachronique. Pétri des contradictions de l’époque, il se veut sérieux, mais avec légèreté, sentencieux, mais guilleret, et, comme elle, rate la cible à force de la viser.
L’auteur semble croire que le ton désinvolte qu’il affecte lui permet de prendre de la hauteur par rapport à l’histoire, alors qu’il ne fait que la prendre de haut, ce qui, après coup, n’est pas bien difficile ni bien intéressant.
Dans ce livre, il singe à merveille cette pose supérieure qui signale la présence du fait littéraire, usant de ces vieux trucs en toc qui sont de tout temps l’apanage des prestidigitateurs littéraires trop sûrs de leur habileté et qui voudraient qu’elle fît d’eux des mages.
On s’ennuie très vite dans ce petit pastel très bien peint, très consensuel (« Les prémisses de la seconde guerre mondiale pour les nuls ») où les métaphores astucieusement « décalées » tombent régulièrement à plat parce qu’elles sonnent faux, fruits secs d’un effort, non d’un vécu.
Je veux croire que ses livres précédents sont meilleurs, mais ce digest qui se lit aussi facilement qu’il s’oublie ne me donne pas envie d’y aller voir.

PRÉVOIR (gouverner, c’est)
Il ne suffit pas de prévoir les événements pour échapper à leurs conséquences. En permettant de s’y préparer, l’anticipation les rend souvent d’autant plus inévitables. Ainsi n’est-il pas sûr que le proverbe « Si vis pacem, para bellum » témoigne d’une grande lucidité politique.

PARTAGE
Un lieu commun dont j’ai souvent pu vérifier la pertinence veut que les pauvres soient plus généreux que les riches. Rien de plus naturel : il est beaucoup plus facile de partager quand on n’a rien à partager.

PASSÉ
Un passé trop riche risque de ne pas laisser beaucoup de place pour un présent vivant.

PETITESSE
Je parle beaucoup en rêve, mais ne me souviens quasiment jamais des mirifiques discours que je tiens et qui semblent si pertinents au moment où je les prononce. Le fait qu’ils m’échappent a l’avantage de me permettre de croire qu’en rêve au moins, je suis génial. Étrangement, et peut-être malencontreusement, je me suis souvenu au réveil avoir dit à mon fils dans un rêve récent et sur un ton quelque peu sentencieux : « On se sent petit devant la petitesse des autres, qui nous révèle la nôtre. »
Quel était le message de mon inconscient, à supposer que message il y ait ?

POUVOIR
L’irrésistible développement de notre pouvoir sur le monde est finalement la preuve de notre impuissance à le maîtriser. Plus nous en avons, plus il se retourne contre nous.

PROFONDEUR
On ne cherche la profondeur qu’au risque de devenir superficiel à force de la vouloir. En voulant aller au fond des choses, on perd parfois le contact avec la réalité, on finit par s’abstraire indûment du monde que l’on prétend découvrir, mettre au jour, embrasser – souvenons-nous du proverbe : qui trop embrasse mal étreint.
C’est un risque qui me pend au nez comme à celui de tous les êtres trop exigeants pour se satisfaire de l’évidence, mais trop idéalistes pour se contenter de la réalité. D’où la nécessité de rester ancré, de se comporter en cerf-volant : voler, monter au ciel, mais grâce à l’ancrage qui permet au vent de prendre dans notre voile.
À l’inverse, l’homme qui assume pleinement d’être superficiel acquiert par là même une sorte de profondeur ; il est à fond ce qu’il est, que lui demander de plus ?
Au final, il n’est pas sûr que Labiche soit moins profond que Lamartine, Francis Blanche moins profond que Jean-Paul Sartre, Anna Gavalda ou Charline Vanoenhecker moins profondes que Le Clézio, Serres ou Modiano. Ils sont en tout cas à mes yeux plus vrais. Il sonnent juste. Ils vivent.
IL me semble de plus en plus que le meilleur moyen d’être profond, c’est de se contenter, ce qui n’a rien d’évident, d’être autant que possible soi-même, tout le contraire de la complaisance, par laquelle nous cèdons à notre « flapin », notre côté habile à donner de nous une image flatteuse, au lieu d’être nous-mêmes à l’aide de notre « rageur », cette partie de nous qui veut être vraie envers et contre tout. Ce qui nous rend le plus sûrement superficiels, c’est d’être dans la séduction. Et il n’est séduction plus spécieuse que l’affectation de la profondeur…
Être profond, ce n’est pas prendre la pose, c’est être juste, au sens où l’entend mon ami Renzulli, c’est à dire sincère et honnête parce que fidèle à soi-même et à sa nécessité intérieure.
Vaste programme ! eût opiné le grand Charles.

PROGRÈS
Son vrai moteur, c’est la paresse.

PROSTITUTION
Il y a exactement la même différence entre l’art contemporain de marché et l’art authentique qu’entre se branler devant un film porno et faire l’amour avec une personne qu’on aime.
Même différence qu’entre le machinal et le vécu ; dans le premier cas, on a le plaisir de la facilité, dans le second on a l’effort de la création et le bonheur qu’il engendre.

RELATIVITÉ
Les gars d’Hara-Kiri étaient tellement en avance qu’on les a pris pour des passéistes…

RÉUSSITE
Nous confondons presque toujours la réussite avec le succès, appelant réussite ce qui n’est que succès.
J’ai tôt compris que le succès n’était pas forcément une réussite, et que la réussite n’entraînait pas toujours le succès…
C’est que le succès relève de la quantité alors que la réussite se mesure à la qualité.

RÊVE
Il faut faire attention, avec nos rêves. Ne pas rester trop près d’eux, ne pas leur coller au train. Pour les réaliser sans les banaliser, prenons-les en main, mais laissons-les voler ; les rêves sont des cerfs-volants, ils ont besoin de s’ancrer dans la réalité, mais tenus de trop près, en laisse, ils ne prennent plus le vent et tombent à terre. Pour ne dénaturer ni l’un ni l’autre, toujours laisser un peu de marge entre le rêve et la réalité. Notre rêve est une bulle qui nous emporte plus haut que nous ne pensions pouvoir aller, si nous ne l’étreignons pas au point de la faire crever.
Il est beau de réaliser ses rêves, plus beau encore de les vivre.

RIDICULE
Il n’y a jamais de ridicule en amour – sauf aux yeux des imbéciles et des salauds, éternels alliés toujours en guerre contre la vie.

RISQUE
Qui n’est pas prêt à prendre le risque d’échouer ne risque pas de réussir. Cette certitude rassure beaucoup d’entre nous, adeptes obtus du fameux proverbe « Un Tiens vaut mieux que deux Tu l’auras ».

SINGE
Je revois de temps en temps, souvenir des années 50, le Jardin des Plantes et son zoo, les odeurs des singes et surtout celle des fauves, qui prenait à la gorge, presque suffocante à force d’être piquante, et puis ce grand singe (j’avais d’abord tapé grand sage, peut-être la plus juste faute de frappe que j’aie jamais commise), ce grand singe malheureux qui barbouillait de sa merde la vitre à travers laquelle il nous fixait, étalant soigneusement et sans fin son caca comme pour nous dire ce qu’il pensait de sa vie et de nous, comme aussi pour ne plus nous voir grâce à ce rideau marron tiré entre notre dégoût et le sien.

SUBJECTIVITÉ
Que la perception de la réalité soit subjective est aisément vérifiable par une expérience fort simple, entre mille autres, expérience propre à confondre les sceptiques les plus endurcis. Le même pet, avec exactement la même odeur, sera perçu de manière diamétralement différente selon qu’il émanera de moi ou d’autrui. Presque plaisante, voire tout à fait bienvenue dans le premier cas, elle produira dans le second gêne, voire dégoût, avec toutes les manifestations physiques concomitantes.
Comme a fini par le comprendre la physique contemporaine, bien plus ouverte au doute que le scientisme « réaliste » mécaniste du XIXe siècle, le point de vue de l’observateur change sa perception de la réalité, et interagit par là même avec elle, parfois jusqu’à la modifier…

THÉORÈME
Tout progrès technique résolvant un problème en engendre au moins deux plus graves que le précédent.

VIEILLIR (bien)
Le secret du bien vieillir, c’est d’être assez bête pour se croire immortel, ou assez intelligent pour savoir qu’on devrait déjà être mort.