« Il est possible de cheminer seul. Mais le bon voyageur sait que le grand voyage est celui de la vie, et qu’il suppose des compagnons.

Compagnon : étymologiquement, c’est celui qui mange le même pain. Heureux qui se sent éternellement en voyage et qui voit dans tout prochain un compagnon désiré...

Le bon voyageur se préoccupe de ses compagnons découragés, las... Il devine le moment où ils en viennent à désespérer. Il les prend où il les trouve. Il les écoute. Avec intelligence et délicatesse, et surtout avec amour, il leur fait reprendre courage et retrouver goût au voyage. »

Dom Helder Camara


GILETS JAUNES, UNE LUEUR DANS LA NUIT ?

Ce que j’ai vécu sur notre rond-point et ce que ça me dit


Ce que je vais livrer ici est un ressenti personnel. Je ne témoigne que de ce que j’ai vu et vécu, et ce témoignage est donc subjectif – comme tous les témoignages, et comme toutes les opinions, n’en déplaise aux amateurs « d’objectivité », il n’est pas inutile de le rappeler au passage.
Subjectif, ce témoignage paraîtra peut-être « naïf », il me semble pourtant correspondre à une évolution si essentielle qu’elle pourrait bien entraîner une authentique révolution. Évolution qui me semble liée à « une prise de conscience inconsciente » : l’inconscient collectif de notre espèce perçoit le désastre en cours et y réagit, mettant peu à peu en mouvement des fragments de plus en plus importants de la population.

J’ai passé du temps depuis trois semaines en compagnie d’autres Gilets Jaunes sur un rond-point situé à l’entrée de Barcelonnette, petite sous-préfecture des Alpes de Haute-Provence.
En tout premier lieu, et quel soulagement ce fut, j’ai eu le sentiment très fort d’avoir enfin affaire à des êtres humains et non aux brutes déshumanisées qui prétendent nous représenter et nous gouverner et que j’entends à longueur d’émission sur France-Inter et France-Culture étaler depuis des années leur langue de bois mensongère qui déguise la violence de leur politique sous les éléments de langage prémâchés par leurs maîtres.
À la fois Tartuffes et zombies, plus que jamais auparavant, ceux qui « réussissent » m’ont paru bien médiocres, comparés à ceux qui ne sont rien…

Cette coupure entre le peuple et de prétendues élites réunissant en une véritable mafia d’authentiques prédateurs cooptés pour leur cynisme et leur avidité, elle vient de loin, comme me semblent le montrer les impressions que j’avais à l’époque retirées de ma participation au mouvement de mai 68, à la Sorbonne et dans la rue, comparées aux impressions que j’ai ressenties sur notre rond-point et dans nos réunions, y compris avec certains élus attentifs.
Comparées aussi à celles que me donne toujours davantage depuis plus de 40 ans le petit monde politico-économico-financier qui a remplacé le souci de l’intérêt général et le service de la nation par l’absolue primauté des intérêts particuliers d’une infime minorité, la recherche du profit à n’importe quel prix, le tout à l’aide d’une corruption si généralisée et si profonde qu’elle est devenue inconsciente.

Pour ce que j’en constate et crois en comprendre à l’heure qu’il est, la révolte de mai 68 et celle des Gilets Jaunes n’ont rien en commun. Il s’agit de deux mouvements totalement différents, tant dans leurs motivations que dans leurs méthodes et dans les actions entreprises, et probablement aussi dans leurs conséquences.

De même, le mouvement des Gilets Jaunes est par nature radicalement étranger à la vision du monde autoritaire du système oligarchique dont l’emprise de plus en plus féroce sur l’humanité suscite désormais des révoltes toujours plus violentes des populations qui subissent peu à peu un esclavage de fait, et se voient dépossédées de la moindre possibilité d’avoir une influence sur leur destin.

La différence de nature est profonde, et elle est vitale. Je tente d’en faire une première approche, à compléter, à préciser et à fonder, en exposant ci-dessous la perception que j’en ai.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’un travail de sociologue, mais des intuitions personnelles d’un militant !


GILETS JAUNES 2018


Aux ronds-points :

Des adultes, dont de nombreux retraités, la plupart sans idéologie, plus ou moins « apolitiques ».
Grande variété des origines, des âges et des choix de vie, mais accord sur l’essentiel, tolérance, solidarité, partages, échanges sans violence.
Pas de leaders, une parfaite et évidente égalité et une naturelle répartition des tâches.
Une réelle maturité d’ensemble. Sincérité et honnêteté. Simplicité. Pas de jugement, de la coopération. Respect réciproque.
Ces êtres humains veulent vivre en paix. Et en sont probablement capables, parce que de bonne volonté.
Paradoxe apparent, ils sont très unis parce que très variés. Il s’agit d’un collectif non prémédité, animé par l’intérêt général de ses membres, et qui aspire à en rejoindre d’autres animés des mêmes intentions.


SOIXANTE-HUITARDS 1968


Sur les barricades, dans les AG :

De jeunes étudiants immatures, très politisés, souvent fanatiques.
Enfermés sur eux-mêmes, méprisants, incapables de dialogue, perroquets ayant tous à quelques nuances près le même discours formaté, profondément désunis par leur recherche effrénée du pouvoir.
Car leur soumission à une idéologie extérieure apparaîtra vite pour ce qu’elle était, le vecteur d’une quête individualiste de pouvoir : la plupart des leaders autoproclamés de mai 68 resteront des fanatiques mais en changeant de doctrine. Convertis au profit et au paraître, les « leaders » du mouvement étudiant deviendront tout naturellement soit les garants « de gauche » d’une social-démocratie dévoyée, soit les jeunes loups libéraux-nazis qui mettront le pays en coupe réglée à partir des années 1990.
Nouveau paradoxe apparent, ils étaient très désunis parce que très semblables. Leur collectivisme affiché, en fait un corporatisme déguisé, était la courte échelle de leur féroce individualisme tout entier dévoué au service de leur intérêt particulier…


CEUX QUI « RÉUSSISSENT », entendez : LES PRÉDATEURS 1968-2018


Comportement et discours du pouvoir oligarchique politico-économico-financier :

Des « adultes » immatures, adolescents attardés et manipulateurs dont l’absence d’empathie confine à l’autisme. Hypocrisie permanente (ils parlent de bienveillance mais méprisent systématiquement autrui), indûment nommée pensée complexe, en vérité enfumage consistant à faire constamment l’exact contraire de ce qu’on dit.
Idéologues bornés et fanatiques, d’une étonnante rigidité d’esprit, avec une conception autoritaire du pouvoir, une recherche permanente de la verticalité, une mise en compétition systématique, une exaspérante infantilisation du citoyen (généralement nommée « pédagogie »), notamment à l’aide d’un recours généralisé à une « évaluation » dévalorisante.
Perpétuellement en guerre entre eux (ils sont divisés justement parce qu’ils se ressemblent, il n’y a pas de place pour tout le monde quand il y a trop de clones), ils sont aussi solidaires en tant que classe pour faire une guerre impitoyable à tout ce qui ne leur est pas soumis. Ces individualistes invétérés pratiquent sur une grande échelle les renvois d’ascenseur et leur fonctionnement de type mafieux s’apparente au comportement du milieu du grand banditisme dont ils partagent l’absolu mépris des « caves », de « ceux qui ne sont rien ». En témoignent leur arrogance, leur froide inhumanité et… leur impunité cyniquement assumée, voir l’affaire Benalla…


On comprend mieux dès lors ce que je crois être les mobiles profonds du mouvement des Gilets Jaunes.
Le système actuel de pouvoir, fondé sur la mainmise d’une infime minorité grâce au règne absolu de l’argent et à la recherche concomitante du profit à n’importe quel prix, est de fait en guerre civile contre la majeure partie de l’humanité, désireuse d’une paix sociale qui ne peut exister que dans le partage et la solidarité.
Ce qui se joue à mon sens avec la révolte citoyenne des Gilets Jaunes, c’est donc le rejet d’un monde autodestructeur imposé par une minorité droguée à la compétition et au profit en faveur d’une civilisation qui mériterait ce nom en vivant selon les valeurs opposées, et seules porteuses d’avenir pour l’humanité, de coopération et de gratuité.



En complément, je vous propose cet entretien intéressant et instructif avec Philippe Pascot sur Sud-Radio :
« Monsieur Macron est un menteur »
https://www.youtube.com/watch?v=fgYYGuerTAg&feature=youtu.be

Et ces cinq documents :

Lettre ouverte à Mesdames et Messieurs les élus actuels, par les Gilets Jaunes de la Vallée de l’Ubaye

Lettre ouverte à l’intention de tous, par les Gilets Jaunes de la Vallée de l’Ubaye

Alain Supiot décrypte la politique ultra-libérale culminant avec Macron

Pourquoi la colère sociale n’est pas près de s’apaiser, par Laurent Mauduit

Pablo Servigne : « Il est possible que nos sociétés se dégradent beaucoup plus rapidement que les anciennes civilisations »