TRAVAIL
Je le dis avec une certaine fierté, j’ai toujours éprouvé un immense plaisir à ne rien faire pendant que les autres travaillent. Maladie, convalescence, séjour à l’hôpital, sieste, tout m’est occasion de m’abandonner à l’écoute voluptueuse de la rumeur de la vie, de contempler la vie en cours au lieu de participer à la vie en course.
J’adore être témoin, reposer, presque flotter, dans la bulle de mon silence intérieur, tout en écoutant le remue-ménage atténué de la fourmilière berçant mon heureuse vacuité. Contraste jouissif entre la présence du fait néant et l’aliénation des hommes occupés ! Curieusement, c’est dans ces moments-là, trop rares à mon goût depuis que je jouis de l’odieux privilège d’être adulte, que je ressens le plus fortement ce bonheur d’exister qui donne son vrai sens à la vie. « Je suis », tout simplement, tout bêtement si vous voulez.
C’est le drame des paresseux qui ne s’acceptent pas tels de s’astreindre constamment, par une culpabilité mal placée, à travailler, alors qu’ils ne sont pas faits pour ça.
Ce n’est pas que je ne travaille pas ; je travaille, mais pour mon plaisir, je travaille, mais quand il me plaît ; je travaille, et même beaucoup, et probablement plus que la plupart des bosseurs compulsifs, si épuisés par leur agitation frénétique qu’ils perdent un temps fou à ne rien faire et souvent pendant leur travail même, comme si un disjoncteur leur coupait le courant pour éviter la surchauffe et le court-circuit qui les menacent sans cesse.
Impossible de ne pas les trouver ridicules, ces hommes occupés, envahis… Et odieux quand ils prétendent nous occuper, comme s’ils ne nous envahissaient pas déjà que trop ! Ce que je n’accepte pas chez les drogués du travail, c’est qu’ils ne se contentent pas d’être masochistes, il leur faut encore jouer les sadiques en voulant nous rendre aussi malheureux qu’eux.


À la nuit tombante, la pêche au soleil © Sagault 2008